Page:Schopenhauer - Le Monde comme volonté et comme représentation, Burdeau, tome 1, 1912.djvu/427

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apparent dans les écrits des apôtres ; cependant il n’a été développé complètement et exposé explicitement que plus tard. Nous voyons que les apôtres prescrivent d’aimer son prochain comme soi-même, de faire le bien, de chérir ceux qui nous haïssent, d’être charitable, patient, doux, de se résigner facilement aux offenses, d’être tempérant, pour dompter la concupiscence, de résister aux appétits charnels, et, s’il est possible, d’être absolument chaste. Nous trouvons déjà ici les premiers degrés de l’ascétisme, ou proprement la négation de la volonté, et nous désignons par ce mot ce que les Évangiles entendent par « renoncer à soi-même » et « porter sa croix » (Matth., XVI, 24, 25 ; Marc, VIII, 34, 35 ; Luc, IX, 23, 24 ; XIV, 26, 27, 33). Ces tendances se développèrent petit à petit, et donnèrent naissance aux ascètes, aux anachorètes, aux moines ; c’étaient là de pures et saintes institutions, mais qui ne pouvaient s’étendre qu’à un très petit nombre d’hommes ; un développement plus considérable ne devait amener qu’hypocrisie et abomination, car « abusus optimi pessimus ». Plus tard, quand le christianisme est organisé, nous voyons ce germe ascétique s’épanouir complètement, dans les écrits des saints et des mystiques. Tous prêchent non seulement la pureté de la vie, mais la résignation complète, la pauvreté volontaire, le vrai calme, l’indifférence absolue aux choses de la terre, l’abnégation de la volonté, l’enfantement en Dieu, l’oubli entier de soi-même et l’anéantissement dans la contemplation de Dieu. On trouve là-dessus un exposé très détaillé, dans Fénelon, Explication des maximes des saints sur la vie intérieure. Mais nulle part l’esprit du christianisme, dans son développement, n’a été plus parfaitement et plus fortement exprimé que dans les écrits des mystiques allemands, chez maître Eckhard et dans son livre si célèbre la Théologie allemande ; c’est cet ouvrage dont Luther disait, dans une préface qu’il y a ajoutée, qu’aucun, — excepté la Bible et Saint Augustin, — ne lui avait mieux appris ce que c’est que Dieu, le Christ, et l’Homme. Depuis 1851 seulement, nous en avons un texte pur, débarrassé de toute interpolation, grâce à l’éditeur Pfeiffer de Stuttgard. Les prescriptions et les enseignements qui y sont contenus sont l’exposé le plus complet, parti de la conviction la plus profonde, de ce que j’ai présenté comme la négation du vouloir-vivre. C’est là ce qu’il faut étudier attentivement, avant de trancher la question avec l’assurance des juifs ou des protestants. Dans le même esprit, quoique inférieur à l’ouvrage dont nous venons de parler, a été écrite l’Imitation de l’humble vie de Jésus par Tauler, sans compter sa Medulla animæ. Selon moi, les leçons de ces mystiques, si purement chrétiens, découlent du Nouveau Testament, comme le vin découle de la vigne ; ou plutôt, ce qui nous apparaît dans le Nouveau Testament, comme