Page:Schopenhauer - Le Monde comme volonté et comme représentation, Burdeau, tome 1, 1912.djvu/432

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éternel. Quand nous lisons, dans les biographies de saints, l’histoire de leur vie intérieure, nous voyons qu’elle est pleine de luttes, de combats de l’âme contre elle-même, de défections de la grâce, c’est-à-dire de cette forme de connaissance qui rend inefficaces toute espèce de motifs, qui agit sur la volonté comme calmant général, qui procure la paix la plus profonde et qui donne accès à la liberté. C’est pourquoi ceux qui sont arrivés à la négation de la Volonté luttent énergiquement pour se maintenir dans cette voie ; ils doivent s’infliger des privations de toute sorte, se soumettre à une pénitence rigoureuse, rechercher enfin tout ce qui pourra les mortifier : tout cela pour comprimer la Volonté toujours rebelle. De là vient le souci douloureux qu’ils prennent pour se maintenir en cet état salutaire, une fois qu’ils ont appris à connaître tout le prix de la délivrance ; de là leurs scrupules de conscience à l’égard de la plus innocente jouissance, au moindre éveil de leur vanité, passion qui meurt la dernière de toutes, qui est la plus vivace, la plus active et la plus folle. — Par le mot d’ascétisme, que j’ai déjà si souvent employé, j’entends à proprement parler cet anéantissement réfléchi du vouloir qui s’obtient par le renoncement aux plaisirs et la recherche de la souffrance ; j’entends une pénitence volontaire, une sorte de punition qu’on s’inflige, pour arriver à la mortification de la volonté.

Si, maintenant, nous voyons pratiquer l’ascétisme, par ceux qui sont arrivés à la négation du vouloir, uniquement pour s’y maintenir, il en résulte que la souffrance en général, en tant qu’elle est produite par le sort, peut amener par un autre chemin à cette négation (δευτερος πλους) : oui, nous pouvons croire que la plupart des hommes n’arrivent à la délivrance que par cette voie, et que c’est la douleur directement ressentie et connue qui produit presque toujours la résignation complète ; cela arrive souvent aux approches de la mort. Au petit nombre seulement peut suffire cette connaissance, qui, pénétrant le principe d’individuation, a d’abord pour résultat la purification complète du sentiment, et l’amour du prochain en général, et qui fait participer l’individu aux souffrances de tous, comme aux siennes propres, pour amener ensuite la négation du vouloir. Celui qui s’en approche rencontre presque toujours un perpétuel obstacle, une perpétuelle excitation à satisfaire le vouloir, dans l’état de sa propre personne, dans les circonstances plus ou moins favorables, dans l’attrait de l’espérance, et dans les exigences constantes de la volonté, c’est-à-dire du plaisir : aussi a-t-on personnifié dans le Diable toutes ces sensations. Il faut donc presque toujours que de grandes souffrances aient brisé la volonté, pour que la négation du vouloir puisse se produire. Nous ne voyons un homme rentrer en lui-même, se reconnaître et recon-