Page:Schwob - Cœur double, Ollendorff, 1891.djvu/305

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d’ombres coururent le long des murs, surveillées par des inspecteurs rigides. On entendit un murmure plein de pressentiments funestes. Les abords des banques et des maisons riches frémirent d’une vie neuve, souterraine. Des éclats de voix retentirent, comme de soudains claquements, dans des quartiers éloignés. Un bourdonnement de machines en mouvement, une trépidation du sol, de terribles déchirements d’étoffe ; ensuite un silence étouffant, semblable au calme avant l’orage ; et tout à coup la tempête sanglante, enflammée.

Elle éclata au signal d’une longue fusée flamboyante qui jaillit de l’Hôtel de Ville dans le ciel noir. Il y eut un cri poussé par la poitrine générale des révoltés, et un élan qui secoua la Cité. Les grands édifices tremblèrent, brisés par en dessous ; un roulement jamais entendu franchit la terre d’une seule onde ; les flammes montèrent comme des fourches saignantes le long des murs immédiatement noircis, avec de furieuses projections de poutres, de pignons, d’ardoises, de cheminées, de T en fer, de moellons ; les vitres volèrent, multicolores, dans une gerbe d’artifices ; des jets de vapeur crevèrent les tuyaux, fusant au ras des étages ; les balcons sautèrent, tordus ; les laines des matelas rougirent capricieusement, comme des braises qui s’éteignent, aux fenêtres distendues ; tout fut plein d’horrible lumière, de traînées d’étincelles, de fumée noire et de clameurs.