Page:Scudéry - Artamène ou le Grand Cyrus, première partie, 1654.djvu/60

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leurs passions, & toutes leurs pensées, n’estant plus devant leurs yeux ; ils recommencerent de se regarder comme auparavant : c’est à dire comme deux Rivaux, & comme deux Ennemis.

Artamene estoit pres de s’en aller, & de commander que l’on gardast le Roy d’Assirie ; lors que ce Prince luy dit, je sçay bien que ta naissance est égale à la mienne : & je le sçay par des voyes si differentes, & si asseurées, que je n’en sçaurois douter : c’est pourquoy me confiant en cette generosité, de laquelle j’ay esté si souvent le secret admirateur malgré ma haine ; & que j’ay si souvent esprouvée ; je veux croire encore, que tu ne me refuseras pas une grace que je te veux demander. Comme à mon Rival, luy respondit Artamene, je te dois refuser toute chose : mais comme au Roy d’Assirie, je te dois accorder tout ce qui n’offensera point le Roy que je sers, ou la Princesse sa fille : c’est pourquoy fois asseuré que je ne te refuseray rien de tout ce qui ne choquera point ny mon honneur, ny mon amour : & je t’en engage la parole d’un homme, qui comme tu dis, n’est pas de naissance inégale à la tienne, quoy qu’il ne passe pas pour cela, dans l’opinion de toute la Terre. Demande donc ce que tu voudras : mais consulte auparavant ta propre vertu, pour ne forcer pas la mienne à te refuser malgré elle. Le Roy d’Assirie voyant qu’il avoit cessé de parler ; je sçay bien, luy dit il, que tu peux me remettre entre les mains de Ciaxare : & qu’apres luy avoir conquis la meilleure partie de mon Royaume, il te seroit en quelque façon avantageux, de luy en remettre le Roy dans ses fers. Mais tu és trop brave, pour vouloir que la Fortune t’ayde à triompher d’un homme fait comme moy ; & pour te prevaloir de la captivité d’un Rival, que tu ne sçaurois