Page:Segur - Lettres de la comtesse de Segur.djvu/22

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heures, me semble dater d’un mois et hier déjà je m’étonnais de ne pas t’avoir encore écrit. Et pourtant la journée s’est laissé tuer assez agréablement ; les heures affectées à chaque genre d’occupation sont restées les mêmes, seulement elles étaient, sont et seront mortes, au lieu d’être pleines de vie. Comme toujours, j’ai déjeuné, promené, écrit, repromené, dîné, joué au billard, parlé et pris du thé comme de ton temps, mais pas dans le même esprit ni avec le même cœur. Mon pauvre Émile a encore laissé un doux parfum de tabac que l’air et le temps dissiperont, mais de toi il n’y a que le vide et les objets matériels. J’ai dit que j’avais joué au billard ; la dernière leçon d’Émile a si bien profité à Sabine qu’elle m’a gagné deux parties sur cinq ; j’ai manqué en perdre une capot ; j’ai joué à faire honte à un apprenti ; c’est le seul moment de la journée où je n’ai pas regretté mon cher Émile ; il se serait trop moqué de mes incroyables coups manquÉs. Sabine riait à tomber. Je n’ai eu qu’un éclair de talent un peu semblable au tien. Les malades du Saint-Esprit[1] vont de même. L’argent d’Émile va porter ses fruits en permettant au médecin d’administrer des remèdes que la crainte de ne pas être payé l’empêchait d’ordonner. Les sœurs de Laigle sont tellement occupées par les malades de la ville[2], qu’elles y sont insuffisantes et que la supérieure ne veut pas les laisser aller dans les campagnes ; mais on a trouvé une femme, parente d’une des maisons atteintes, et un beau-frère d’une autre maison qui se relayent et

  1. Village à côte des Nouettes.
  2. La fièvre typhoïde sévissait dans le pays.