Page:Senancour - Rêveries, 1833.djvu/100

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favoriser notre inégalité, ceux qui chaque jour forment des projets, ceux qui possèdent, qui commandent, qui sont trop exempts de réserve ou de privations, et qui doivent se reprocher, comme une source de peines secrètes, tant de joies apparentes, les heureux enfin dans l’ordre social, ne retrouveront que par la philosophie quelque souvenir du calme naturel, des émotions vraies, et du premier charme de l’existence.

L’homme actuel s’est formé un ensemble particulier de rapports, de convenances ou d’affections, et il peut établir un certain ordre dans ce monde borné. Mais, plus loin, ces efforts se perdent. Là finit un art précaire, l’accord de ce que les hommes désirent dans la minute actuelle, et de ce qui est perpétuellement. Celui qui a prétendu parcourir toute la sphère de nos sciences, de nos aperçus, de nos conjectures, s’est brisé plus d’une fois contre une chaîne d’oppositions, limite constante de toute volonté accidentelle.

Si l’activité immodérée de l’esprit rencontre peu d’entraves, elle nous détruit avant le temps ; est-elle trop comprimée, elle dégénère en apathie. La raison combattra ces deux fléaux ; elle prolongera la jeunesse de l’ame dans le silence des passions, et, en nous offrant un but toujours un peu reculé,