Page:Senancour - Rêveries, 1833.djvu/101

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mais dont nous approcherons toujours, elle nous fera échapper au malheur de ressentir des besoins sans conserver des désirs.

Dans le monde intellectuel, ainsi que dans le monde visible, les objets éloignés se trouvent d’abord sacrifiés à l’objet présent. Il faut prendre l’habitude de corriger cette disproportion par le jugement, et de substituer aux rapports apparens les rapports réels. Sans cette attention, ce que nous éprouvons actuellement, ce que nous désirons, ce que nous redoutons, devenu gigantesque par cette proximité même, absorberait tous nos moyens et toutes nos facultés. Ainsi trompés, nous ne trouverions ni modération dans nos joies, ni soulagement dans nos peines : cette estimation fausse, mais dont on n’avait rien à craindre dans la vie indépendante, serait, dans la vie sociale, une source de chagrins ou d’inconséquences.

La raison combine les idées en les multipliant. La justesse et l’impartialité, la vraie philosophie nous évitera dès lors beaucoup d’erreurs de conduite. L’inquiétude qui souvent se perpétuait dans l’épuisement même, ce désir vague que suscitait la moindre séduction, ce trouble inutile, nous le calmerons en évaluant les choses avec autant de liberté d’esprit que si elles nous étaient étrangères. Voyons-les