Page:Senancour - Rêveries, 1833.djvu/112

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ce que nous sommes enfin au milieu de tant de mouvemens qui font de notre durée une série de pertes et de réparations.

Nous devons au rétablissement d’une partie de cet accord intérieur quelques momens d’une existence nouvelle. Dans ces heures qui suscitent d’inexplicables désirs, les dangers ou les inconvéniens sont oubliés ; nous voyons d’un esprit également satisfait le repos de la nuit, ou la splendeur du soleil, l’obscurité des vieux ombrages, ou la jeune fleur des prairies, et le bruit des hommes, et la paix des déserts. Nous aimons le sable qui cède sous nos pas, la pierre qui nous soutient sans fléchir, les roches que nous gravissons avec effort, et le sol uni où la marche sera facile. Nous nous plaisons dans une épaisse forêt parce qu’elle voile l’éclat du jour, et sur un canal embrasé des feux de l’aurore parce qu’on est ébloui de cette double lumière. Nous chérissons les êtres qui partagent avec nous les dons de la vie ; nous nous attachons même aux choses inanimées que nous soumettons à nos plans, et qui recevront de nous leur destination. Nous adoptons pour ainsi dire la nature entière, nous approuvons, nous admirons tout ce qui existe, parce que tout devient l’occasion de notre activité, ou l’aliment de notre pensée. Durant ces jours de confiance et d’es-