Page:Senancour - Rêveries, 1833.djvu/113

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

poir, l’ame est assez libre pour n’avoir que de paisibles désirs ; contente d’elle-même, elle paraît affermie dans le monde agité. C’est oublier la terre des hommes, et se rapprocher en quelque sorte de l’imperturbable nature, de l’étendue vivante et indestructible, qui elle-même participe de l’être essentiel.

Mais rien d’humain ne sera permanent. Comment resterions-nous impassibles au milieu des ruines, et toujours semblables dans un monde qui change toujours ? Notre retenue même ne serait pas exempte de douleur si un constant exercice de nos forces ne présentait pas à l’imagination quelque sujet d’espérance. Quand nous n’avons formé aucun dessein, quand il ne reste point de trace des heures écoulées ; elles nous échappent trop visiblement : ces pertes continuelles nous attristent. Sans doute le temps le moins mal employé produit rarement ce que nous en attendions ; mais enfin il produit quelque chose, et nous cessons alors de nous croire des êtres inutiles. Si au contraire on est mécontent de soi-même, on ne tarde pas à l’être de ce qui arrive, ou de ce qui pourrait arriver : on abandonne tout jusqu’au soin de délibérer et d’agir.

Le perfectionnement des arts, et les recherches du goût, multiplient les moyens de jouissance ; mais