Page:Senancour - Rêveries, 1833.djvu/114

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la jouissance même sera nécessairement limitée. Pour qu’on reçoive de douces impressions, il faut qu’elles se rapportent à des biens réels à moins qu’elles ne paraissent embellies par la surprise, par la nouveauté, moyen précaire, et qui s’épuiserait sans retour. Le plaisir ne saurait occuper de longues heures, et quant à cette disposition au contentement qui nous avait été accordée dans le principe, pour en perdre jusqu’au souvenir c’est assez de n’avoir pas su conserver le repos de l’ame.

Le bonheur ne se trouve que dans une vie simple qui laisse des facultés surabondantes. Pour un homme content de vivre, les plaisirs seraient inutiles. Et cependant une vie simple n’est pas toujours heureuse ; elle ne saurait l’être si on y porte les passions, les habitudes, les regrets d’une humeur inégale, d’une imagination frivole, d’une ame étroite. Heureux celui qui a pu conserver les premiers bienfaits du sort, et qui n’a jamais été réduit à en attendre des faveurs plus éclatantes, mais équivoques.

Il est a craindre que les avantages de la naissance, de l’esprit même et de l’éducation, que tout ce qui brille, tout ce qui séduit, que ces dons de la fortune et de l’art n’aient d’autre effet que de nous rendre le bonheur difficile. Misérable orgueil qui nous fera dédaigner ce qu’il aurait de meilleur ! Triste éléva-