Page:Senancour - Rêveries, 1833.djvu/116

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sur la terre, elle ne se trouverait que dans le calme, dans une sorte de renoncement. Toute tentative ambitieuse est due à l’agitation d’un génie assez peu éclairé pour méconnaître son impuissance. Ce qui s’éloignera toujours n’est pas un but, mais un leurre. Un négociant qui disposerait seul des mines de l’Amérique du Sud ne se trouverait pas assez riche, pour peu qu’il se piquât de ne point s’arrêter à des spéculations timides. Il en serait de même du monarque qui parviendrait à régner sur toutes les parties du globe : il aurait alors tant de choses à faire pour contenir des peuples fatigués de ne plus se haïr ouvertement, et le globe est si petit dans l’univers, que si ce prince était doué d’une grande force selon les idées communes, il se plaindrait, et de la briéveté d’une vie qui finit à cent ans, et des limites d’un empire dont les navigateurs pourraient faire le tour en trois cents journées.

Si une ame ardente trouve rarement une entreprise trop difficile, une ame plus ferme ne connaît guère de repos trop silencieux. On choisit l’une ou l’autre manière de vivre selon les temps. Êtes-vous certain de ne vous avilir en aucune rencontre, cela vous suffira, et vous ne céderez plus à des mouvemens d’orgueil. Un zèle inconsidéré vous suggérerait quelquefois d’aller le plus loin possible ; mais