Page:Senancour - Rêveries, 1833.djvu/119

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privation des plaisirs : tout homme qui les ignore, ou qui les a quittés assez tôt, s’ennuie peu. Quant à la continuité des peines, elle a plus souvent pour effet de prévenir cette langueur que de nous y livrer : beaucoup d’hommes malheureux ne s’ennuièrent jamais. Ce mal-être dépendra surtout de l’opposition entre ce qu’on imaginera et ce qu’on éprouvera, entre la faiblesse de ce qui s’offre habituellement et l’étendue de ce qu’on se sera proposé. L’ennui résulte d’un état d’incertitude, où la crainte d’un simple obstacle pouvant détourner d’un grand avantage, cent affections combattues s’éteindront avant d’animer le cœur. On ne voit plus ce qu’il faut désirer, parce qu’on ne sait pas ce qu’on abandonnerait sans peine. Rien ne devant plaire toujours, puisque rien n’est sans inconvénient ou sans mélange, l’idée même, le sentiment du beau nous attriste, nous décourage, et, trop mécontens de ce qui n’est point parfait, nous sommes fatigués de la vie, parce qu’elle a cessé d’offrir en perspective des biens inaccoutumés.

La durée des affections, la suite des idées, la paix de l’ame sont plus faciles dans les lieux agrestes. Mais suffira-t-il d’y passer quelques jours ? Ce serait ne point connaître les principaux avantages de la retraite ; il faut y rester long-temps pour apprécier