Page:Senancour - Rêveries, 1833.djvu/120

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

le bonheur d’y vivre. Rarement on trouvera dans la campagne la mieux choisie des jouissances imprévues ou des joies inégales ; mais, par cette raison même, on y oubliera l’anxiété du monde. Alors on sent qu’on a une demeure, et on s’arrête doucement se croyant arrivé. On sourit sans amertune ; on voit tomber la feuille qui vient de grandir, et sans doute un jour on s’affaiblira sans trouble. De la culture, des fleurs ordinaires, des soins domestiques dont une industrie naturelle écarte les difficultés, voilà l’emploi des heures. Les entretiens sont à la fois sérieux et libres avec abandon, parce que la pensée est profonde, parce que, autrefois, le cœur a été un peu brisé, parce que le rire habituel ne convenait qu’à la fastidieuse gaieté des villes, parce que c’est assez, pour espérer à jamais, de se trouver là où se reunissent le bruit des eaux rapides et les murmures de la forêt à la fin du jour.

Clartés des cieux, émanations de l’inconnu, vous n’embellissez pas seulement nos étroites solitudes ; vous y faites apparaître, pour les ennoblir, quelque indice d’une consolation mystérieuse, et, des profondeurs de l’abîme, vous parvenez jusqu’à nous comme un signe de l’infini. Toutes les sphères qui circulent vers les confins des régions ténébreuses présentent du moins leur surface, souvent