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Note P. (p. 252)

D’anciennes habitudes, des circonstances décisives, l’organisation particulière, la force des lois, peuvent avoir plus d’empire encore que la croyance. Un homme d’esprit disait : Le lecteur fait le livre. Chaque fidèle se fait ainsi sa doctrine religieuse.

Quand des gens corrompus ou ineptes accueillent une religion comme un moyen temporel, un expédient politique, il n’est pas surprenant que des esprits légers et avides de plaisirs la repoussent comme un obstacle. Plusieurs hommes l’auront quittée afin de se jeter librement dans le désordre, et en cela ils montraient qu’ils n’avaient pas la foi ; mais d’autres, en prétendant s’unir à Dieu, selon les expressions d’un dévot orgueil, ne savent faire autre chose que de se séparer de leurs semblables, et prouvent ainsi que jamais ils ne comprendront la morale religieuse.

Il est temps que les notions religieuses, les seules peut-être qui chez les mortels soient susceptibles de quelque grandeur, ennoblissent l’esprit au lieu de le subjuguer seulement ou de le troubler. « On ne gagne pas toujours à s’élever (a dit quelque part M. Sainte-Beuve) quand on ne s’élève pas assez haut… Mieux vaut encore demeurer sur la terre… à moins que l’ame un soir ne trouve des ailes d’ange, et qu’elle ne s’échappe dans les plaines lumineuses, par-delà notre atmosphère… »