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Note Q. (p. 252)

L’erreur gouverne la terre. Ce n’est pas une observation nouvelle ; mais trop souvent on la perd de vue, ou bien on exagère le mal, et on suppose qu’il n’est presque plus de droiture parmi les hommes. Au contraire, la plupart d’entre-eux n’oublient pas qu’ils ont besoin de vérité ; mais la vérité est une, et les erreurs sont de nature à se multiplier, ou à se propager indépendamment même de la perversité d’intention. Pour qu’une opinion erronée se répandit chez tout un peuple, un seul imposteur a suffi, et souvent même nul n’a été précisément coupable.

S’il était un pouvoir magique qui s’avisât tout à coup de forcer les hommes à montrer ce qu’ils pensent en effet, ou à s’en assurer eux-mêmes, plusieurs choses que vante toute une nation tomberaient dans le mépris, et des opinions qui passent pour générales seraient aussitôt abandonnées.

Des hommes vrais avec zèle étant très-rares, un peu de charlatanisme altère communément les relations sociales. En prenant place dans le monde on affecte un caractère qu’on n’avait pas, ou des principes qu’on négligera de suivre. On dévore en silence ses inquiétudes ou ses chagrins, et on se croit sur la route du bonheur si on prend aux yeux des autres une attitude heureuse. L’artifice de plusieurs hommes qui exercent l’autorité dégénère en un jeu insipide. Les phrases adroites de beaucoup d’auteurs