Page:Senancour - Rêveries, 1833.djvu/389

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de jeunesse, formerait des projets différent et peut-être moins vastes en un sens. Se voyant certain de finir plusieurs choses, il aimerait à prévoir le terme de chacune, et il s’abstiendrait d’en ébaucher à la fois un grand nombre. Mais dans la vie ordinaire l’espace manque à tel point qu’on est, pour ainsi dire, obligé d’en méconnaître les bornes. Nous embrassons dans nos desseins une durée indéfinie, et nous regardons comme des suites heureuses de notre existence, tous les souvenirs qu’on pourra conserver de nos moyens intellectuels. Ce bruit que feront peut-être nos pensées participe en quelque chose de la pensée même qui semble impérissable. En s’arrangeant pour que ce retentissement se prolonge, un homme que sa passion abuse croit se ménager quelque bien futur. Il est vrai du moins que la partie la plus durable de l’histoire des peuples est celle de leurs conceptions. Elles donnent des fruits plus lents, mais plus féconds, des résultats moins éclatans, mais moins passagers que ceux des grandes actions. Lorsque le temps commence à ruiner les annales d’une foule de générations éteintes, la trace de leurs idées ne s’efface pas encore : les principaux traits de leur génie seront entrevus par de nouveaux peuples.

Que de notions utiles nous réunirions si les Hindous et les Chaldéens, si d’autres peuples antérieurs avaient pu nous laisser généralement des esquisses de leurs travaux, de leurs premières tentatives, de l’enchaînement de leurs croyances ou de leurs opinions. L’Orient avait rassemblé de grandes lumières ; il en reste des lueurs dont quelques modernes se flattent trop légèrement de déterminer l’origine. La Haute-Égypte paraît avoir obtenu de beaux siècles, mais peut-être cette forte doctrine lui avait-elle