Page:Senancour - Rêveries, 1833.djvu/391

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ne laissa que des traces secrètes d’une doctrine trop pure pour les âges de barbarie.

Un lien naturel rapproche les diverses facultés de l’esprit. Elles peuvent se montrer successivement dans leur force inégale ; mais sous de nombreux rapports elles s’accroissent de concert. Le développement visible de toutes les parties d’une plante est successif, mais elles ont été nourries simultanément. La littérature change de caractère à plusieurs égards, d’après les changemens que subissent nos inclinations, nos habitudes, nos lois et nos sciences. Ce n’est pas seulement parce que d’autres mœurs ou d’autres règles prescrivent en quelque sorte d’autres idées, et proposent à nos différens travaux un autre but ; mais parce que nos facultés formant un ensemble, nulle partie ne peut rester semblable dans le tout qui ne subsiste pas invariablement.

Ainsi que la pensée des individus, celle des peuples est une succession toujours active. Dans l’ordre ordinaire le règne de la pensée doit suivre celui de l’imagination, et peut substituer une langue plus régulière ou plus savante à une langue plus pittoresque et tantôt poétique, tantôt naïve. Les idées étaient vagues ou obscures, et les sensations impétueuses ; aujourd’hui la sensation présente a moins d’empire. Une énergie long-temps indomptée cédant à une force réfléchie, et fies clartés suffisantes pour tous les besoins dédommageant de la lueur incertaine qui animait fortement quelques désirs, l’éloquence de la sagesse remplacerait celle des passions, si la langue pouvait cesser d’être aussi à l’usage de cette partie du peuple qui n’avance presque jamais.

Chez toutes les nations instruites et ingénieuses ou doit