Page:Senancour - Rêveries, 1833.djvu/392

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distinguer deux littératures. L’une est fugitive ou transitoire ; agréable domaine d’une multitude d’hommes de lettres, elle reste conforme au mouvement extérieur et accidentel de la société. Mais la littérature essentielle ou normale, généreux attribut des véritables écrivains, la haute littérature est inspirée ou guidée par une raison indépendante des temps et des lieux, par le génie de l’espèce humaine. Elle devance la société des capitales les plus florissantes ; dans tous les siècles, dans tous les âges, elle fut ou elle sera l’expression d’une civilisation plus parfaite, et nécessairement idéale en partie[1].

Lors même qu’une langue paraît ne plus se perfectionner, elle peut encore beaucoup acquérir ; elle a seulement cessé de faire des progrès relativement au peuple qui la parle, c’est-à-dire d’avancer plus que lui-même. S’il ne corrige plus, s’il ne réforme plus cet instrument, du moins il peut s’en servir chaque jour avec plus d’aptitude. La langue n’est jamais fixée à tous égards puisque l’esprit n’est jamais en repos. Ce n’est pas une nécessité que la langue se corrompe promptement : les vicissitudes politiques qui changent les mœurs et le goût des nations peuvent être plus ou moins lentes selon les différens âges du monde social.

Dans la décadence, au lieu de prendre pour modèle ce qui renaît toujours, on imite des copies, simples ouvrages de l’art, et au lieu de créer de libres ébauches, on ne sait plus que parodier le génie. Souvent des intentions trop

  1. Cette importante rectification de l’idée de M. de Bonald, appartient à M. Jay.