Page:Senancour - Rêveries, 1833.djvu/402

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genre des Persans et des Arabes. Si la chevalerie, en se combinant avec les effets du climat, a modifié sur une partie du sol étroit de l’Europe des vestiges plus grossiers du génie antique, ce ne fut guère qu’un accident, et le goût chevaleresque, comme le goût mauresque, n’auront été que des exceptions.

Le genre qui prévaudra désormais participera tellement de toutes les formes dignes d’être admises sans retour qu’on pourra le regarder comme universel en Occident. On cherchera le plus grand accord possible du tact et de l’art, de l’inspiration et de l’étude. Les compositions regardées maintenant comme romantiques ne seront pas abandonnées : on en retranchera seulement le désordre, la discordance, la bizarrerie. Quel autre nom donner au caprice qui, dans le Songe de Jean Paul, fait prononcer par Jésus même, au milieu des morts sollicitant l’espoir d’une autre vie, ces mots sinistres : « Non, il n’est point de Dieu. » N’est-ce pas une extrême discordance, un moyen inexcusable d’exciter quelque émotion imprévue.

En devenant plus correct, plus sage, le style restera vigoureux, et sera dès lors consacré, sans rentrer expressément dans les formes classiques. Moins romantique dans Manlius ou dans Britannicus que dans Othello, Talma était admirable dans ces deux premiers rôles. Le célèbre monologue d’Hamlet, imité par Ducis, est plus romantique qu’une scène de Racine ; mais quel raisonnable partisan du genre classique eût pu rejeter ces vers de l’auteur d’Abufar, et se priver de les voir dits par Talma avec tant de perfection, ou de profondeur ? Nous touchons ainsi à l’époque où la littérature, n’étant plus exclusivement, tantôt germanique, tantôt grecque et latine, répondra aux be-