Page:Senancour - Rêveries, 1833.djvu/404

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succès dramatiques n’auraient pas suffi pour faire de la langue française la première langue vivante ; il fallait aussi qu’elle pût être celle des sciences, et que la clarté qui lui est propre fût annoblie par les ressources intarissables que des écrivains plus modernes ont cessé de méconnaître. Quelques-uns d’eux achèvent de donner à la prose l’élévation dont elle est susceptible dans tout idiome qui cesse d’être informe. Ils introduisent dans le langage usuel, trop long-temps qualifié de vulgaire, cette partie de la poésie qui appartient moins au talent qu’à la supériorité de la pensée, ou même à la vigueur de l’ame, et qui semblait mal à propos le partage exclusif des grands versificateurs : ce n’est pas une innovation, mais un progrès naturel.

Boileau, Fénelon, Pascal surmontaient plusieurs difficultés ; mais celle qui se présente aujourd’hui est très-grande. Mille écrivains ont fait dix mille volumes estimables dans cette langue, qu’il faut savoir rajeunir encore sans se montrer téméraire. À peine est-il permis d’imiter ; cependant tout paraît imitation chez celui qui venant après tant d’autres, ne peut faire que ce qu’ils semblent avoir déjà entrepris… Le ton de la scène est meilleur surtout dans la comédie. Les plaisanteries grossières, les expressions basses, souffertes du temps de Molière ou de Corneille, seraient tolérées difficilement.

Racine arriva dans un moment favorable. La tragédie, déjà perfectionnée, n’était nullement épuisée. Il n’est pas certain que, sous Louis XV, un second Racine eût su, comme Voltaire, ouvrir à la tragédie un monde nouveau… Plusieurs mots de Voltaire dans Mahomet, dans le Triumvirat, dans l’Orphelin de la Chine, sont d’un homme qui comprenait la pensée des maîtres de la terre. Ce n’est