Page:Senancour - Rêveries, 1833.djvu/405

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qu’à celui qu’une destinée semblable n’étonnerait pas qu’il appartient de les faire parler. Dans Rome-Sauvée, l’entrevue de César et de Catilina, est une des plus belles qui existent en ce genre. Si on préférait en général les hommes d’état dans Corneille à ceux des tragédies de Voltaire, ou bien la scène beaucoup trop vantée de Pompée et de Sertorius au dialogue de Sylla et d’Eucrate par Montesquieu, il faudrait quitter Racine pour l’Arioste, ou Virgile pour Lucain. À la vérité on a vu des gens dont l’ame était commune, écrire passablement une tragédie. Le talent d’imiter peut ainsi remplacer jusqu’à un certain point le véritable talent, celui qui tient du génie. D’ailleurs les rôles forts, ou les rôles héroïques sont rares dans la plupart des drames, et on les remplit de passions triviales parce que le théâtre est destiné surtout à la multitude.

On reproche à Voltaire de laisser trop apercevoir l’auteur sur la scène, et de se mettre à la place du personnage. Généralement on le blâme de parler plus encore à la raison qu’à l’esprit, de s’apercevoir de la tyrannie des abus, de s’élever contre les erreurs, enfin de ne pas écrire uniquement pour amuser, comme ceux qui ne songent qu’à se procurer un nom ou un revenu. Ces torts sont graves ; mais, si nous nous arrêtons surtout au premier, nous jugerons que l’auteur de Sémiramis ne pouvait pas aussi facilement que celui d’Andromaque éviter cette sorte de défaut. En travaillant pour la scène Racine ne voyait ordinairement que sa pièce, et il désirait avant tout que la critique fût presque désarmée. Mais Voltaire avait senti qu’en obtenant une influence plus sérieuse, il aurait cependant à lutter tous les jours contre l’erreur prêchée tous les jours. Il voulait opposer aux manœuvres de l’intérêt,