Page:Senancour - Rêveries, 1833.djvu/406

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de l’iniquité, de l’imposture, une raison plus droite, et à la faiblesse des hommes subjugués par leurs préventions ou par leurs habitudes, le besoin qu’ils ont encore d’entendre et de confesser la vérité. On doit toujours regarder comme moins grande dans les travaux de l’esprit une faute connue de celui qui la fait. Tandis qu’il suffisait à Racine de peindre de certaines physionomies, Voltaire voulait que dans chaque personnage on entrevît ce qui appartient généralement à l’homme. Ainsi les couleurs des différens portraits, tout en conservant leur force, devaient être un peu transparentes. Serait-il surprenant que plusieurs nuances eussent eu au milieu de ces entraves quelque chose de peu fidèle, ou qu’elles eussent manqué pour ainsi dire de naïveté ? L’intention morale se rencontre dans les pièces de Racine lorsque cela ne le gêne nullement ; elle forme au contraire une partie du mérite caractéristique des tragédies de Voltaire.

Nous entrevoyons tous, selon nos facultés, les voies ouvertes au génie de l’homme. Le premier qui se sent la force d’y entrer doit laisser une trace. Obligés d’y marcher eusuite, beaucoup d’autres semblent conduits par ce premier écrivain, qui n’eût paru lui-même rien inventer en cela, s’il fût né plus tard. Trouver un genre déjà créé, c’est une facilité pour les esprits ordinaires, mais pour les hommes supérieurs c’est un inconvénient. Parce que les modernes surprennent moins le public après tant de fatigues, ou si on veut de jouissances littéraires, on déclare qu’ils ont dégénéré, on affirme qu’ils ne sauraient presque rien tirer de leur propre fonds. Autant vaudrait dire à un voyageur qui parcourrait les divers côtes de l’Europe : vous ne savez pas y découvrir de nouvelles terres ; avouez