Page:Senancour - Rêveries, 1833.djvu/407

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que les Phéniciens ont eu seuls le vrai génie de la navigation.

Les premiers juges des travaux littéraires, ceux que le public interroge avant de commencer à juger par lui-même, n’augmentent qu’avec répugnance le nombre de leurs rivaux. Naturellement chacun de nous se voit, au milieu de la multitude, comme un être à part, et considère d’abord tous les autres mortels comme à peu près semblables entre eux. Si l’évidence nous fait reconnaître enfin un talent du premier ordre, si sa renommée favorisée au loin par quelque hasard, revient jusqu’à nous, alors nous l’élèverons avec enthousiasme pour le mettre hors des rangs d’une manière frappante, de peur que ses émules ne se servent de son nom pour se croire à notre niveau.

Si même les hommes étaient suffisamment éclairés, si tous étaient d’une entière bonne foi, la gloire confirmée par plusieurs générations serait encore plus étendue que la gloire à laquelle le temps aurait manqué ; le partage serait encore inégal entre des mérites également rares. Le bruit le plus rapide de tous, celui des victoires, n’a-t-il pas aussi besoin du temps pour s’accroître, pour que les villes le transmettent aux campagnes, et les navigateurs aux plages étrangères ? De trois siècles mémorables le premier sera d’abord le plus vanté ; mais quand ils seront vieux tous trois, la différence des âges s’effaçant pour ainsi-dire, le plus utile sera seul le grand siècle.

Nous qui devons prononcer avee indépendance, approuvons dans l’occasion les temps récens comme les temps anciens. Et d’ailleurs ces générations n’ont-elles pas déjà disparu ? Qu’importe pour nous l’époque des traces de lumière laissées par les hommes qui vécurent ? Mais sou-