Page:Senancour - Rêveries, 1833.djvu/408

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vent on s’irrite de cette lumière même ; on préférerait une obscurité lucrative dans laquelle on saurait présenter comme surnaturelles des lueurs équivoques. Des deux derniers siècles on s’attache à préconiser celui qui s’éloignait le moins de l’ancienne docilité. Cependant, malgré les écarts d’une doctrine quelquefois aride, le second a fait mieux connaître et mieux aimer la raison exacte, désabusée, impartiale, que prend toujours pour guide un véritable écrivain, celui qui exerce en quelque sorte de nobles fonctions, et dont les vues sont généreuses.

On pourrait partager les auteurs en trois classes. Ce qui les distinguerait surtout ce serait l’intention ; les différences seraient plus dans le caractère de l’homme que dans ses lumières, et dans l’emploi de ses moyens que dans leur étendue. L’homme de lettres n’envisage que le produit, ou n’ambitionne que les applaudissemens : il fait un métier. Si enfin ses idées s’épurent, si les études qui le mettent en rapport avec des esprits élevés lui inspirent des pensées moins vaines, si l’argent ou les louanges journalières cessent d’être le principal but de ses travaux, il se rapproche de l’écrivain ; mais ne pouvant retrouver entière cette dignité de l’ame dont on ne s’écarte pas impunément, il reste dans une situation moyenne, et le nom de littérateur paraît convenir à l’ensemble de ses goûts, de ses habitudes, de sa faiblesse, de sa tardive honnêteté.

Quelquefois aussi le véritable écrivain, l’homme né pour l’être sera déconcerté par des événemens imprévus. Ils ne l’aviliront point, parce que cela ne dépend pas de la fortune ; mais, négligeant à regret ses premiers desseins, peut-être ne sera-t-il momentanément qu’un littérateur. Le littérateur ne fait rien de grand, et ne fait rien