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de méprisable. On ne le paie pas ; cependant on peut l’indemniser. Il n’écrit jamais contre ses opinions ; seulement il travaille quelquefois avec un autre motif que celui d’exprimer sa pensée. Il peut avoir de la raison, de l’impartialité, de la droiture ; mais le génie et même la profondeur n’apartiennent peut-être qu’à l’écrivain indépendant.

Le goût, c’est-à-dire un goût vulgaire, la flexibilité de l’esprit, et ce tact qui nous rend agréable à nos contemporains, deviennent surtout le partage de l’homme de lettres. Il se fait recevoir dans les sociétés littéraires du nord et du midi, les directeurs de théâtres ou les libraires lui commandent des ouvrages, les journalistes les plus accrédités lui donnent des audiences, les jolies femmes en attendent de jolis vers, dans les maisons opulentes on lui permet des lectures, et ses vœux seront remplis s’il parvient à disposer d’un cabriolet pour rendre des visites, ou d’une salle à manger pour se ménager de nouveaux succès chaque jour plus honorables.

Dans la littérature, comme dans plusieurs professions, la marche ordinaire des choses peut inspirer à des ames droites d’insurmontables dégoûts. L’homme de lettres se livre à ces manœuvres, soit parce qu’il sait que pour le succès il faut faire comme les autres, soit parce qu’il ignore que le succès n’est pas nécessaire. Le littérateur évite d’inexcusables menées, parce que les avantages qu’il cherche doivent être exempts de honte. L’écrivain se retire au loin, parce qu’à ses yeux de certains mouvemens, quoique permis, ne diffèrent pas assez de l’intrigue.

Les auteurs dont la seule prétention est d’obtenir promptement quelque vogue s’adressent à l’esprit, et non pas à la raison. L’esprit devient très-commun lorsque la civili-