Page:Senancour - Rêveries, 1833.djvu/410

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sation est ancienne. Dans les moindres villes d’une partie de l’Europe on voit peu de familles que l’esprit n’ait pas atteintes, et dans les capitales, il monte jusqu’auprès des greniers. Semblable aux autres commodités de la vie, dès qu’il a cessé d’être rare, il devient très-vulgaire. C’est dans cette petite littérature qu’on cite sans relâche Boileau, Catule ou Horace, et qu’on fait des allusions aussi insipides maintenant que les Flore et les Hébé dont s’enrichissent encore, après tant de siècles, les rimes des simples versificateurs.

Il faut plus de temps pour que la raison soit dominante. On peut la considérer aussi comme un produit de la civilisation ; mais la raison n’obtient assez d’ascendant qu’après avoir réprimé les passions basses, afin de régler même les affections légitimes. Ponr acquérir de l’esprit il suffit de n’être pas présisément un sot ; mais pour se mettre en état de suivre habituellement la raison il faut joindre aux qualités intellectuelles une sorte de courage, et ce n’est qu’après des réflexions mûres qu’on sait a quel point ce courage serait utile dans l’ordre social. Un auteur qui ne parle qu’à la raison doit donc ne compter que sur un petit nombre d’approbateurs. Cependant si une sorte d’autorité paraît nécessaire dans la plupart des actes de la vie, elle est surtout indispensable pour l’écrivain. Que pourrait-il sans la considération publique ? Pour féconder les choses louables ou importantes, il faut un peu de gloire. Ce serait également un écart de ne jamais la désirer, ou de ne désirer qu’elle, d’en négliger les secours, ou de l’avoir seule pour objet en regardant comme le but même les moyens qu’elle procure. Si par ces raisons ou par un reste de faiblesse, des écrivains aspirent à la réputation, du