Page:Senancour - Rêveries, 1833.djvu/61

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cupés, sous un voile composé de formes fantastiques plus légères, nous éprouverions les diverses affections dans toute leur force, si cette partie de nous-mêmes qui les reçoit pouvait ne se point ressentir de l’appesantissement des autres organes. Un rêve est une vie particulière qui s’intercalle dans la vie terrestre. Le cours de celle-ci pourrait n’être également qu’une série de perceptions ; un autre songe isolé dans la vie durable. Le moment du réveil viendra, disait l’antique sagesse.

Aujourd’hui, tout ce que peut une intelligence bornée, l’homme s’en charge, et il semble le faire indistinctement. Il use de tout ; il cherche de toute part, et il rejette toute chose. Il travaille pour renverser son ouvrage ; ce qu’il avait préconisé, il l’avilit, et ce qu’il adorait, il le méprise, comme si le changement devait être sa plus constante habitude.

Cependant on peut se faire dans sa pensée des demeures heureuses. Nous y voyons l’ordre, l’union, la prudence, la sûreté, le courage d’entreprendre ce qui sera utile, et d’oublier ce qui serait vain. Alors les soins, les vœux, les plaisirs du monde actuel sont misérables à nos yeux. Nous séjournons ici comme dans un lieu d’exil, et, au milieu de nos ennuis, nous célébrons avec regret notre patrie absente. Ce