Page:Senancour - Rêveries, 1833.djvu/85

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dans l’attente de ce qui doit la consumer un jour. Le désir d’être ému immodérément est déjà une passion, et la plus constante peut-être. Quand une ame forte aime à se nourrir des espérances de l’ambition vulgaire, les occasions seules lui manquent pour remuer tout un peuple. Ne pouvant accomplir ses premiers desseins, peut-être ensuite s’élèvera-t-elle davantage par sa manière de les apprécier. Elle sortira de la sphère où le hasard la plaçait, et en changeant de lieu, de temps, de perspective, elle choisira ce qui eût été son vrai partage.

Une réflexion peut suspendre l’enthousiasme, le délire d’un génie mortel. Il s’arrête, étonné de n’occuper ici qu’un point et qu’une heure, lui qui se croyait le témoin essentiel des temps, et l’arbitre des générations. Tout va lui paraître inutile dans cette existence humiliée ; il ne s’occupera désormais des soins inséparables d’un rôle si faible, que comme ces vieillards qui reviennent aux jeux du premier âge, sentant que ce n’est plus la peine d’entreprendre une œuvre savante.

Les lois premières et, pour ainsi dire, les vues, les intentions de la nature diffèrent nécessairement des motifs que l’homme trouve en lui lorsqu’il se détermine. Dans l’ordre général, dans ce composé, dont la variété, dont la grandeur nous accablent, com-