Page:Senancour - Rêveries, 1833.djvu/88

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

parties entr’ouvertes, et le lichen s’introduit avec lenteur dans les fentes qu’il agrandira : tel est, devant notre pensée fugitive et souffrante, l’impassible mouvement des choses.

Si tout se consume et se dissout, que produira l’industrie d’un être borné ? S’il n’est point de fécondité réelle, s’il n’est point de stabilité, se garantir devient le seul art, comme le premier besoin, et tout vœu sur la terre sera trompeur, excepté de passer sans souffrir.

Rien n’est plus contraire à la félicité que la folie des plaisirs. Le premier degré dans l’art d’être heureux est la modération au milieu des jouissances. Ce n’est pas assez qu’un plaisir soit exempt de remords, ou même qu’il soit sans mélange, il faut aussi n’en recevoir que ce qui est nécessaire pour ne point perdre l’inclination destinée à le reproduire. C’est une douce volupté de prolonger l’espoir, d’éluder le désir, de ne rien précipiter. On éloignerait tout bonheur si on voulait être absolument heureux. Ne consumons pas en une semaine les fruits de l’année ; conservons autant qu’il se peut l’attente d’un avenir du moins égal au présent.

Il faut pour nos jouissances et un peu de retenue dans la progression, ou dans le renouvellement, et, à l’égard du terme, un peu d’incertitude. Il nous