Page:Senancour - Rêveries, 1833.djvu/97

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instinct d’indépendance convenable en d’autres temps. Nous qui avons tant de science inutile, gardons-nous d’un excès d’ignorance, qui serait de regarder comme bon aujourd’hui tout ce qui d’abord nous plairait vivement. Quelquefois des impressions trop avidement reçues nous préparent des années de tristesse ; quelquefois aussi des émotions pénibles seront la source d’un bien-être que prolongeront ces souvenirs devenus plus heureux.

L’habitude de conserver, de coordonner les effets d’un certain nombre d’impulsions, et d’être ému de plusieurs manières par une cause éloignée, diminue la force des impressions les plus récentes, à moins que malheureusement elles ne nous subjuguent. Craignant ainsi, et craignant trop une tranquillité imparfaite qui serait froide peut-être, nous vivons toujours hors du moment actuel : en usant mal de l’heure qui passe, nous ne jouissons jamais de nos heures. Il paraît impossible de revenir à la simplicité des vieux temps ; mais nous pouvons découvrir de nouveaux moyens de nous en rapprocher, et quelquefois nous les trouverons jusque dans nos écarts. Rapidement entraînés sur le cercle de l’inconstance humaine, nous devons rencontrer vers le point dangereux où nous prétendons arriver, une issue voisine de l’autre point d’où nous sommes partis.