Page:Shakespeare - Œuvres complètes, traduction Montégut, Hachette, 1873, tome 10.djvu/137

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

POSTHUMUS. — Dis plutôt trop rôti ; je suis à point depuis longtemps.

PREMIER GEÔLIER. — La potence est le mot d’ordre, Monsieur ; si vous êtes à’point pour elle, vous êtes bien cuit.

POSTHUMUS. — Eh bien, si je puis être un bon repas pour les spectateurs, le plat payera l’écot.

PREMIER GEÔLIER. — C’est un terrible compte pour vous, Monsieur. Mais ce qu’il y a de consolant pour vous, c’est qu’on ne vous demandera plus de nouveaux payements, que vous’ n’aurez plus à craindre les notes de taverne, lesquelles procurent souvent au départ autant de tristesse qu’elles avaient auparavant procuré de joie : en effet, vous allez à la taverne prêt à vous évanouir par besoin de manger, et vous en sortez zigzaguant pour avoir bu avec excès ; désolé d’avoir trop payé, et désolé d’être trop bien payé, la bourse et le cerveau également vides, — le cerveau d’autant plus pesant qu’il est plus léger, et la bourse d’autant plus légère qu’elle a été débarrassée de son poids : vous allez être tout à l’heure délivré de ces contradictions-là. Oh, quelle charité vous a une corde d’un sou ! elle vous acquitte en un clin d’œil de milliers de dettes ; vous n’avez pas d’autre balance de comptes que la sienne ; elle vous donne décharge et du passé et de l’avenir. Votre cou, Monsieur, c’est la plume, le, livre, les cachets dus ; et puis quittance s’ensuit.

POSTHUMUS. — Je suis plus joyeux de mourir que tu, ne l’es de vivre.

PREMIER GEÔLIER. — En vérité, Monsieur, celui qui sommeille ne craint pas le mal de dents ; mais quand un homme s’apprête à dormir votre-sommeil, et qu’il a un bourreau pour l’aider à aller au lit, je crois qu’il changerait volontiers de place avec son officier ; car, voyez-vous, Monsieur, vous ne savez pas par quel chemin vous passerez.

POSTHUMUS. — Oui, je le sais, mon ami.

PREMIER GEÔLIER. — Votre mort à vous alors a des yeux dans sa tête ; ce n’est pas ainsi que je l’ai vue peinte.