Page:Shakespeare - Œuvres complètes, traduction Montégut, Hachette, 1873, tome 10.djvu/138

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Mais de trois choses l’une, ou bien vous acceptez de croire ceux qui prennent sur eux de savoir quel est ce chemin ; ou bien vous prenez sur vous-même de savoir ce que je suis sûr que vous ne savez pas ; ou bien il vous faut hasarder vous-même l’enquête à vos risques et périls, ce que vous allez faire ; et comment votre voyage se passera, et s’il se terminera d’une manière heureuse, voilà, je crois, ce que vous ne reviendrez dire à personne.

POSTHUMUS. — Je te le dis, l’ami, ceux-là seuls n’ont pas d’yeux pour se diriger dans la route où je m’apprête à entrer, qui les ferment et refusent de s’en servir.

PREMIER GEÔLIER. — Quelle énorme plaisanterie cela est de dire que le meilleur usage qu’un homme puisse faire de ses yeux est de voir le chemin de l’aveuglement ! Moi, je suis sûr que la potence est le chemin des yeux fermés.

Entre UN MESSAGER.

LE MESSAGER. — Enlevez-lui ses fers ; conduisez votre prisonnier au roi.

POSTHUMUS. — Tu m’apportes de bonnes nouvelles ; on m’appelle pour me faire libre.

LE GEÔLIER. — C’est moi qu’on va pendre, en ce cas.

POSTHUMUS. — Tu seras alors plus libre qu’en restant geôlier ; il n’y a pas de verrous pour les morts. (Sortent Posthumus et le messager.)

LE GEÔLIER. — A moins de trouver un homme qui voudrait épouser la potence, et procréer de petits gibets, je n’en ai jamais vu qui fût aussi chaud pour elle. Cependant, sur ma conscience, tout Romain qu’il est, il y a de plus vrais coquins que lui qui désirent vivre ; et il y en a bien aussi parmi les Romains quelques-uns qui meurent contre leurs volontés ; ainsi ferais-je, si j’en étais un. Je voudrais que nous fussions tous d’accord, et d’un bon accord : oh, ce serait la désolation des geôliers et des potences ! Je parle contre mon profit présent ; mais mon souhait renferme un avancement. (Ils sortent.)