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AVERTISSEMENT

roi Édouard, lui demande de la venger d’une calomnie qui a détruit son bonheur et menacé sa vie, met en présence le calomniateur blessé et le mari prisonnier, confond l’un et pardonne à l’autre. Le lecteur est maintenant à même de juger comment Shakespeare a corrigé et purifié le récit de Boccace par le récit du conteur anglais.

Nous pouvons bien montrer les matériaux d’où cette pièce d’une originalité unique a été tirée, mais comment expliquer les méthodes par lesquelles ces matériaux ont été mis en œuvre, saisir les lois de l’architecture qui a présidé à la construction de cet édifice également composé de réalités et de rêves, faire entendre la musique qui, pareille aux mélodies enchantées d’Amphion ou d’Orphée, a porté l’un vers l’autre tous ces éléments si divers, histoires fabuleuses des temps celtiques, sensuelles anecdotes italiennes, morales aventures anglaises, scènes de la vie pastorale et sauvage, épisodes de la vie des cours, et qui les a fait se ranger à leur juste place avec une harmonie si prodigieusement délicate et une si enchanteresse symétrie ? Comment la pensée d’une combinaison aussi inexplicable que celle d’où est sortie Cymbeline s’est-elle présentée à l’imagination de Shakespeare ? C’est là le secret de son génie, et ce secret ne sera probablement jamais découvert. Mais chacun peut rêver à l’aise sur un thème qui est lui-même né tout entier du rêve, et présenter son hypothèse sans crainte d’être trop audacieux, car une pareille composition autorise, par son propre exemple, toutes les fantaisies de l’imagination. Il me semble que cette pièce a dû sortir d’une source toute privée et avoir un but pour ainsi dire individuel. Il se sera passé, au temps de Shakespeare, dans le monde de l’aristocratie anglaise, quelque aventure pareille à celle de Posthumus, d’Imogène et de Iachimo. Un mariage d’amour entre deux personnes semblables par la condition, mais inégales par les rangs, aura fait le scandale et l’admiration de la société anglaise ; et cette union désintéres-