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CYMBELINE

sée, mise en péril par les fourberies de quelque gentilnommé italien de l’époque, aura un jour réalisé ce vers délicieux du grand poëte dans une autre de ses rêveries, le Midsummer’s night dream :

The course of true love never did run smooth.

Quelques critiques ont émis l’opinion que la Tempête avait dû être composée pour quelque mariage aristocratique ; ils se sont fondés, pour soutenir cette hypothèse, sur la scène des visions que Prospéro se plaît à faire passer sous les yeux des amants, et des bénédictions que tous les dieux de l’Olympe, évoqués par lui, répandent sur le couple heureux. Cette scène donne en effet à la Tempête quelque chose des caractères de ces somptuosités dramatiques, masques et pageants si fort à la mode sous Elisabeth et le roi Jacques Ier. Ne pourrait-on pas en dire autant de Cymbéline, et la scène des visions de Posthumus dans la prison ne donne-t-elle pas à ce drame le même caractère ? Seulement ici la fête dramatique, au lieu de célébrer un mariage, aurait eu pour but de célébrer une réconciliation, à-laquelle s’intéressait la haute société anglaise, et mille détails qui nous charment par leur seule délicatesse, comme des festons et des arabesques auxquels nous ne voyons d’autre but que celui de nous amuser, auront été saisis comme de subtiles allusions par un public choisi et initié qui applaudissait dans les vers du poète les fantômes de sentiments qui devaient rester muets en lui.

Le poëte a voulu mettre en-scène une anecdote privée, ou peut-être il a accepté de la mettre en scène ; puis, comme il arrive toujours, le sujet, s’agrandissant dans son esprit, s’y sera présenté sous la forme d’une opposition entre l’Italie et l’Angleterre. Cette opposition, en effet, est le grand intérêt de Cymbeline, dès qu’on est arrivé (ce qui n’est pas facile) à se dégager des voluptés d’imagination dont, cette pièce vous enivre. Deux races se dressent en présence, le monde de la barbarie septen-