Page:Shakespeare - Œuvres complètes, traduction Montégut, Hachette, 1873, tome 10.djvu/80

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CLOTEN. — Il y aura bien des Césars, avant qu’on revoie un autre Jules. La Bretagne s’appartient à elle-même, et nous ne voulons rien payer pour porter nos propres nez.

LA REINE. — Cette occasion qu’ils trouvèrent de nous imposer tribut, nous la retrouvons aujourd’hui pour le refuser. — Sire, mon Suzerain, rappelez-vous les rois vos ancêtres ; songez en même temps aux défenses naturelles de votre île qui, pareille au parc de Neptune, se dresse entourée-d’une ceinture et d’une palissade d’eaux rugissantes et de rochers infranchissables, protégée par des sables qui ne livreront pas passage aux vaisseaux de vos ennemis, mais qui les avaleront jusqu’au bout de leurs mâts. César fit ici une manière de conquête ; mais ce n’est pas ici qu’il prononça sa vanteriè, <r je suis venu, j’ai vu, et j’ai vaincu : » il fut repoussé de nos côtes, deux fois battu avec honte, —la première qui l’eût jamais atteinte, — et ses vaisseaux, — pauvres joujoux inexpérimentés ! — secoués comme des coquilles d’oeufs Sur les vagues de nos terribles mers, furent aisément brisés contre nos rochers : en réjouissance de quoi, l’illustre C’assibelan, qui fut un jour sur le point, — ô trompeuse fortune ! — de s’emparer de l’épée de César 1, fit resplendir de feux de joie la ville de Lud, et étinceler de courage les Bretons ?.

CLOTEN. — Allons donc, il n’y a plus de tribut à payer : notre royaume est plus fort qu’il ne l’était à cette époque ; et comme je le disais, il n’y a plus de Césars comme celui-là : d’autres peuvent avoir des nez crochus comme lui, mais quant à avoir des bras capables de frapper des coups aussi droits, non.

CYMBÉLINE. — Mon fils, laissez votre mère achever.

CLOTEN. — Nous en avons encore beaucoup parmi nous qui ont le poignet aussi fort que Cassibelan : je ne dirai pas que j’en suis un ; cependant j’ai une main. Pourquoi un tribut ? Pourquoi payerions-nous tribut ? Si César peut nous cacher le soleil avec une couverture, ou mettre la lune dans sa poche, nous lui payerons tribut pour avoir de la lumière ; sinon, plus de tribut, je vous en prie, Seigneur.