Page:Shakespeare - Œuvres complètes, traduction Montégut, Hachette, 1873, tome 10.djvu/91

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PISANIO. — Loin de moi, vil instrument ! tu ne damneras pas ma main.

IMOGÈNE. — Mais quoi, je dois mourir ; si ce n’est pas par le fait de la main, tu n’es pas le serviteur de ton maître : et contre le meurtre de soi-même, il y a des défenses si divines qu’elles paralysent, ma faible main. Allons, voici mon cœur : — il y a quelque chose devant : — doucement, doucement ! nous ne voulons pas de défense ; obéissante comme le fourreau. (Elle enlève des papiers de son sein.) Qu’est-ce que cela ? Les épures du loyal Leonatus changées en autant d’écrits hérétiques ? Arrière, arrière, corruptrices de ma foi, vous ne servirez plus de cuirasse à mon cœur ! C’est ainsi que de pauvres folles peuvent croire à de faux docteurs. Bien que ceux qui sont trahis sentent la trahison avec une douleur poignante, une douleur pire encore cependant attend le traître ; et toi, Posthumus, qui soulevas ma désobéissance contre le roi mon père, et qui me fis mépriser les instances des princes, mes égaux, tu t’apercevras par la suite que ce que je fis n’était pas un acte d’occurrence ordinaire, mais une détermination très-rare : et je souffre moi-même en pensant- combien ta mémoire te torturera de mon souvenir, lorsque tu seras rassasié de celle dont tu te repais maintenant. — Dépêche-toi, je t’en prie : l’agneau supplie le bouclier : où est ton couteau ? tu es trop lent à accomplir l’ordre de ton maître, lorsque je désire moi-même qu’il soit exécuté.

PISANIO. — Ô gracieuse Dame, depuis que j’ai reçu cet ordre, je n’ai pas fermé l’œil d’une minute.

IMOGÈNE. — Exécute-le, et puis va-t’en au lit.

PISANIO. — Avant de faire cela, je me tiendrai éveillé à m’en rendre aveugle.

IMOGÈNE. — Pourquoi, en ce cas, as-tu entrepris de l’exécuter ? Pourquoi me tromper en me faisant faire tant de milles sous un faux prétexte ? pourquoi ce lieu ? mon voyage et le tien ? la fatigue de nos chevaux ? à quoi bon cette occasion qui t’invite ? à quoi bon troubler de mon absence la cour où je ne me propose pas de revenir ja-