mais ? Pourquoi venir si loin pour détendre ton arc, lorsque tu as pris position, et que la biche vouée à tes coups est là devant toi ?
PISANIO. — Rien que pour gagner du temps, afin de m’exempter d’un si détestable office ; grâce à ces délais, je me suis avisé d’un expédient. Ma bonne Dame, écoutez-moi avec patience.
IMOGÈNE. — Parle à en fatiguer ta langue ; expose ce que tu as à dire : je viens d’entendre que je suis une câlin, et mon oreille ainsi frappée par cette menteuse injure, ne peut recevoir ni plus grande blessure, ni remède qui guérisse celle-là : mais parle.
PISANIO. — Eh bien, Madame, j’étais persuadé que vous ne voudriez pas revenir à la cour.
IMOGÈNE. — C’est très-probable puisque tu m’amenais ici pour me tuer.
PISANIO. — Ce n’est pas cela non plus : mais si je pouvais être aussi sage qu’honnête, mon projet tournerait à bien. Il est impossible que mon maître ne soit pas trompé : quelque scélérat, oui, et un scélérat consommé dans son art, vous a fait à tous deux cette maudite injure.
IMOGÈNE. — Quelque courtisane romaine.
PISANIO. — Non, sur ma vie. Je lui donnerai avis que vous êtes morte, et je lui enverrai quelque signe sanglant que c’est la vérité ; car j’ai reçu l’ordre de faire ainsi : on vous trouvera disparue de la cour, et cela confirmera parfaitement mon dire.
IMOGÈNE. — Mais, mon garçon, comment ferai-je pendant ce temps-là ? où logerai-je ? comment vivrai-je ? et quelle joie aurai-je dans ma vie, quand je serai morte pour mon époux ?
PISANIO. — Si vous voulez retourner à la cour....
IMOGÈNE. — Pas de cour, pas de père ; plus de tracas nouveaux avec cet insupportable, noble, nul, imbécile Cloten, dont les sollicitations d’amour ont été pour moi aussi terribles qu’un siège !
PISANIO. — Si vous ne retournez pas à la cour, alors vous ne pouvez pas habiter en Bretagne.