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Le Conte de l’Archer.

l’autre venus, si bien que le pauvre moine dut manger à lui seul une basse-cour tout entière, un cochon de lait, plus un beau plat de truites, et boire les quatre flacons, ce qu’il fit d’ailleurs avec infiniment de bonne grâce et sans se faire autrement prier. Car il savait que les biens du bon Dieu ne doivent pas être perdus.

Mais bien qu’ils fussent séparés par leurs parents, — car ce grand sot de Guillaume était, au fond, ravi de ne plus se compromettre, lui l’invité de la reine Marie d’Anjou, dans la société d’un vilain comme maître Mathieu, — les enfants se voyaient de loin et n’avaient garde de s’oublier. Que de fois Tristan s’était-il levé au petit matin pour aller rêver dans le coin du jardin d’où l’on apercevait la fenêtre en bois sculpté de la chambre d’Isabeau ! Il était arrivé souvent que, par un hasard bien grand, la fillette avait précisément ouvert sa fenêtre de bonne heure. Alors le pauvre garçon prenait la pose déconfite d’un désespéré, et la méchante ne pouvait s’empêcher d’en sourire. Mais elle ne s’en allait pas, ce qui était l’essentiel, et son regard semblait à la fin s’attendrir sur ce pitoyable objet de tant de constance.

Un jour même il arriva qu’elle se mit à éplucher un bouquet, comme pour en retirer les fleurs