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Chroniques du Temps passé.

qui avaient commencé de se flétrir. Dans ce petit travail elle laissa tomber une rose dans le jardin de maître Guillaume, — quand je dis qu’elle l’y laissa tomber, elle l’y jeta bel et bien, car le mur qui séparait les deux vergers était fort loin de sa croisée, — Tristan courut bien vite et remarqua avec délice que cette rose était vraisemblablement la plus fraîche du bouquet. Il la porta bien vite à ses lèvres en élevant un regard de reconnaissance vers celle qui lui faisait cette aumône ; mais la mutine créature avait disparu déjà. Alors il emporta jalousement la fleur et la glissa dans un reliquaire d’argent que sa mère lui avait donné.

Une fois de plus se confirmait cette loi étrange qui veut que, dans les choses de l’amour, tout obstacle soit comme un aiguillon nouveau. Si les deux enfants avaient continué à jouer ensemble et à se voir tous les jours, il y a gros à parier qu’ils fussent demeurés bons camarades, mais rien autre chose. Tristan se fût à peine aperçu des changements survenus dans la personne d’Isabeau, et celle-ci eût continué à se moquer de Tristan, sans se prendre un seul instant à ses mélancolies. Non pas qu’elle fût férue de lui comme il était féru d’elle. Mais elle était intérieurement fière de ce long hommage et lui en savait bon gré, sentant