Page:Sophocle, trad. Leconte de Lisle, 1877.djvu/56

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que je sache clairement qui de nous deux tu plaindras le plus, en voyant son corps déchiré par un châtiment mérité. Va, ô fils ! ose ! aie pitié de moi qui suis si misérable et qui gémis comme une vierge. Nul ne dirait jamais qu’il m’a déjà vu tel auparavant, car j’ai toujours enduré mes maux sans gémir ; mais maintenant, je suis misérablement dompté comme une femme. Viens auprès de ton père et vois ce qui m’accable de tels maux, car je te le montrerai sans aucun voile. Voyez, regardez tous mon corps déchiré ; contemplez ma misère, voyez le misérable état où je suis ! Ah ! ah ! Malheureux ! Hélas ! hélas ! L’ardeur de ce mal lamentable me brûle de nouveau, et il pénètre encore ma poitrine, et ce venin vorace ne semble pas devoir se relâcher. Ô roi Aidès, prends-moi ! Frappe, éclair de Zeus ! Ô Roi, ô Père, frappe, perce-moi du trait de la foudre ! Le mal revient, il brûle, il s’accroît avec violence. Ô mains ! mains, dos, poitrine ! ô chers bras ! Êtes-vous tels, vous qui avez dompté autrefois l’habitant de Néméa, le Lion funeste aux bouviers, horrible et monstrueux, et l’Hydre Lernaienne, et les Centaures sauvages à la double forme, aux jambes de cheval, race impudente, sans lois, orgueilleuse de ses forces, et la Bête Érymanthienne, et le Chien souterrain d’Aidès, à triple tête, ce monstre invaincu né de la terrible Ékhidna, et le Drakôn gardien des Pommes d’or, aux dernières limites du monde. Et j’ai supporté d’innombrables travaux, et nul n’a jamais érigé de trophée pour ma défaite. Et, maintenant, les bras rompus, les chairs déchirées, je suis misérablement rongé d’un aveugle mal, moi, conçu par une noble mère, et qu’on nomme fils de Zeus qui commande aux astres ! Mais, certes, sachez-le : bien que sans force et ne pouvant marcher, je me vengerai, tel que je suis, de celle qui a commis ce crime.