Page:Sorel - Montesquieu, 1887.djvu/67

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

soumises et à exploiter les pays qu’ils avaient conquis ; leur constance prodigieuse dans les revers ; la fermeté de leur sénat ; cet heureux concours de circonstances, cette « allure principale » qui faisait que tout leur profitait, jusqu’à leurs fautes, parce qu’ils étaient capables de les comprendre et de les réparer ; l’application perpétuelle de ces deux maximes auxquelles tout était subordonné, le salut public au dedans, la conquête au dehors ; en un mot, partout et toujours, la raison d’État. « C’est ici, selon une belle parole de Montesquieu, qu’il faut se donner le spectacle des choses humaines » ; nul ne l’a donné avec plus de grandeur.

Il y est admirable ; peut-être admire-t-il trop ce terrible jeu de la force sèche et raisonnée, ces vertus d’État « qui devaient être si fatales à l’univers ». Le philosophe s’efface trop devant l’observateur. Montesquieu dégagera bientôt, dans l'Esprit des lois, la sanction supérieure et définitive de la conquête ; il en décrit ici le phénomène et en marque le caractère implacable et barbare, « Comme ils ne faisaient jamais la paix de bonne foi, et que, dans le dessein d’envahir tout, leurs traités n’étaient proprement que des suspensions de guerre, ils y mettaient des conditions, qui commençaient toujours la ruine de l’État qui les acceptait… Quelquefois ils traitaient de la paix avec un prince, sous des conditions raisonnables ; et, lorsqu’il les avait exécutées, ils en ajoutaient de telles, qu’il était forcé de recommencer la guerre… Rome s’enrichissait toujours, et chaque guerre la mettait