Page:Sorel - Montesquieu, 1887.djvu/76

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d’analyser les textes : il fallait descendre dans l’histoire et demander un de ses secrets, son grand secret d’État, à la civilisation.

Montesquieu erra longtemps. « Je suivais mon objet sans former de dessein ; je ne connaissais ni les règles ni les exceptions. » Relisez le chapitre de la Coutume dans Montaigne, vous vous ferez une idée des notes que Montesquieu avait recueillies de toutes mains et accumulées dans ses tiroirs. Montaigne a secoué les siennes au hasard, il les a jetées au vent, et il s’est fait un malicieux plaisir de les imprimer en ce désordre, qui lui paraît le dernier mot de la nature. Il triomphe de ce pêle-mêle d’hommes, de choses, de temps, de pays, de gouvernements, d’anecdotes, de légendes, de bons mots et de belles maximes. Il n’a pas de peine à tirer de ce gâchis humain de quoi ravaler l’homme et mettre en loques sa draperie. Pas une ligne du chapitre qui n’étale l’infirmité de notre raison et la contradiction misérable de nos jugements. Cet arsenal étrange que Montaigne a formé pour inquiéter l’homme et ébranler en lui le fondement de toute certitude, Pascal s’en empare pour ramener l’humanité à la foi. Dans une incomparable démonstration par l’absurde, il écrase l’esprit humain afin de l’anéantir devant Dieu. Montesquieu ne se contente point de la raison diffuse et vagabonde de Montaigne ; il ne se résigne point à la raison confondue et prosternée de Pascal. Il lui faut une explication, et il la veut humaine.