Page:Stendhal - Rome, Naples et Florence, III, 1927, éd. Martineau.djvu/202

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société, tout cela est pétrifié à Genève. Je viens de m’apercevoir que c’est la caricature des Anglaises. Pour comble d’insipidité, la conversation est toujours guindée sur les grands sujets de liberté, d’amour, de bonheur domestique, de peinture des passions, etc., et là-dessus ces dames ont leur leçon faite et apprise par cœur, qu’elles vous débitent, toujours la même. Il faut voir la mine qu’on vous fait si vous vous avisez d’être naturel dans ces discussions interminables ? L’autre jour, pour avoir admis la possibilité de l’amour hors du mariage, à la soirée de la maison P., madame C*** qui m’avait présenté, m’a fait de gros yeux ; toutes les demoiselles ont rougi : j’ai vu que j’avais dit une sottise, que j’ai raccommodée de mon mieux, et assez mal. Or, comme on voit, la possibilité de l’amour hors du mariage est en effet une chose inouïe.

Il faut toujours discuter les grands intérêts de la vie et être toujours hypocrite dans la discussion. Là-dessus je dis : À la bonne heure se gêner à la cour où l’on gagne des titres ou du pouvoir ; mais se gêner à Genève !

Les femmes y sont belles ; mais cette incroyable pruderie dont personne, je crois, n’a parlé, se retrouve jusque dans l’air des visages : cela donne aux figures un fond de