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Page:Stevenson - Enlevé (trad. Varlet), 1932.djvu/136

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fioritures en notes d’agrément, chéries des cornemuseurs, et qu’ils nomment « gazouillis ».

J’avais pris plaisir au jeu de Robin, mais celui d’Alan me ravit.

– Ce n’est pas trop mal, monsieur Stewart, dit son rival ; mais vous ne montrez guère d’imagination dans votre gazouillis.

– Moi ! s’écria Alan ; et le sang lui monta au visage. Je vous en donne le démenti !

– Vous reconnaissez-vous donc battu sur la cornemuse, dit Robin, que vous cherchez à la remplacer par l’épée ?

– Voilà qui est fort bien dit, monsieur Macgregor, répliqua Alan ; et provisoirement (il appuya sur le mot avec force) je retire mon démenti. J’en appelle à Duncan.

– Vous n’avez besoin d’en appeler à personne, dit Robin. Vous êtes meilleur juge que tous les Maclarens de Balquhidder ; car c’est la vérité de Dieu que vous êtes un très passable joueur, pour un Stewart. Donnez-moi la cornemuse.

Alan la lui donna ; et Robin entreprit d’imiter et de corriger quelques-unes des variations d’Alan, qu’il se rappelait parfaitement.

– Oui, vous êtes musicien, dit Alan, d’un air pensif.

– Et maintenant, soyez juge vous-même, monsieur Stewart, dit Robin.

Et reprenant les variations dès leur début, il en fit quelque chose de tout nouveau, avec tant d’ingéniosité et de sentiment, et avec une imagination si originale et une telle subtilité dans les notes d’agrément, que je fus émerveillé de l’entendre.

Alan, tout rouge, se mordait les doigts d’un air sombre, comme s’il eût reçu un affront sanglant.

– Assez ! s’écria-t-il. Vous savez jouer… contentez-vous de cela.

Mais Robin, d’un geste, réclama le silence, et entama un air de pibroch[34], sur une cadence lente. Le morceau était joli en soi, et joué avec noblesse ; mais il paraît aussi qu’il était spécial aux Appin Stewarts, et fort aimé d’Alan. Dès les premières notes, ses traits se détendirent ; quand la mesure s’accéléra, il ne tint plus en place sur son siège ; et bien avant la fin du morceau, toute trace de sa colère avait disparu, et il n’avait plus de pensée que pour la musique.

– Robin Oig, dit-il, quand celui-ci eut terminé, vous êtes un grand cornemuseur. Je ne suis pas digne de jouer dans le même royaume que vous. Par mes os ! Vous avez plus de musique dans votre poche que moi dans ma cervelle ! Et bien qu’il me reste l’idée que je serais capable de vous en montrer d’une autre avec le froid acier, je vous le dis d’avance, – cela me ferait de la peine. Je n’aurais pas le cœur de transpercer un homme qui sait sonner de la cornemuse aussi bien que vous.

La querelle était vidée. Toute la nuit, la brose circula et la cornemuse