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Page:Stevenson - Enlevé (trad. Varlet), 1932.djvu/138

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et autres plantes basses, juste suffisantes à nous couvrir si nous restions couchés à plat. Nous y dressâmes notre camp, sous les canons du château de Stirling, dont les tambours battaient à l’occasion de quelque revue de la garnison. Des moissonneurs travaillèrent tout le jour dans un champ qui bordait la rivière, et nous entendions le bruit des faux sur les pierres à aiguiser, avec les voix des gens, et même leurs paroles. Il convenait de rester cachés et de nous taire. Mais le sable de notre petite île était chaud de soleil, les plantes vertes donnaient de l’ombre à nos têtes, nous avions à boire et à manger en abondance, et pour couronner le tout, nous étions en vue du port.

Dès que les moissonneurs eurent quitté le travail et que le crépuscule commença de tomber, nous retournâmes à gué sur la rive et nous nous dirigeâmes vers le pont de Stirling, en traversant les champs et passant sous les clôtures.

Le pont se trouve juste au pied de la colline du château. C’est un vieux pont haut et étroit, avec des poivrières tout le long du parapet ; et l’on peut imaginer avec quel intérêt je l’examinai, moins comme lieu célèbre dans l’histoire que comme représentant les portes de la liberté pour Alan et pour moi. La lune n’était pas encore levée quand nous arrivâmes ; quelques lumières brillaient sur la façade de la forteresse, et au-dessus, dans la ville, quelques fenêtres éclairées ; mais tout était parfaitement tranquille, et il ne semblait pas y avoir de sentinelles pour garder le passage.

J’allais pousser de l’avant, mais mon ami fut plus avisé.

– Tout a l’air bien paisible, dit-il ; mais malgré cela nous allons nous mettre en observation derrière un talus, pour voir.

Nous attendîmes un quart d’heure, des fois chuchotant, ou bien restant à écouter, sans rien entendre que le clapotis des flots contre les piles du pont. Finalement survint une vieille femme clopinant sur une canne à béquille. Elle s’arrêta non loin de notre cachette, marmottant quelque chose à part elle et se plaignant de la longueur du chemin ; puis elle se mit à grimper la forte rampe qui donne accès au pont. La femme était si minuscule dans cette nuit si noire, que nous l’eûmes bientôt perdue de vue ; mais nous entendions décroître peu à peu le bruit de ses pas et de sa canne, et la toux qui lui prenait par accès.

– Elle doit avoir traversé, maintenant, susurrai-je.

– Non, dit Alan, son pas sonne toujours creux sur le pont.

Et juste alors : – Qui vive ! cria une voix, et nous entendîmes la crosse d’un mousquet résonner sur les dalles. Il faut croire que la sentinelle s’était endormie, et nous aurions pu essayer de passer inaperçus ; mais à présent, elle était éveillée, et la chance perdue.

– Cela n’ira jamais, dit Alan. Cela ne peut, cela ne peut pas marcher pour nous, David.

Et, sans rien ajouter, il s’éloigna en rampant à travers champs ; et un peu plus loin, lorsqu’on ne put plus nous voir, il se remit debout et prit une route qui se dirigeait vers l’Est. Je n’y comprenais rien ;