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Page:Stevenson - Enlevé (trad. Varlet), 1932.djvu/78

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sommet une pierre penchée ; et c’est juste au pied de cette colline que passe la route de Torosay ; et le chemin où nous sommes, destiné aux troupeaux, est tout piétiné, tandis que l’herbe y pousse, à la traversée de la lande.

Je dus reconnaître qu’il avait raison de tous points, et lui avouai mon étonnement.

– Ha ! dit-il, ceci n’est rien. Croiriez-vous qu’avant la promulgation de la loi, et quand on avait des armes dans le pays, je savais tirer. Oui, je savais ! s’écria-t-il, puis, d’un air sournois : – Si j’avais quelque chose qui ressemblât à un pistolet, je vous montrerais comment je fais.

Je lui répondis que je n’avais rien de ce genre, et m’écartai de lui davantage. Il ne savait pas que son pistolet dépassait alors très visiblement de sa poche, et que je voyais reluire au soleil l’acier de la crosse. Mais par bonheur pour moi, il n’en savait rien, et, se figurant que l’arme était cachée, il mentait effrontément.

Il se mit ensuite à me poser des questions insidieuses, pour savoir d’où je venais, si j’étais riche, si je pouvais lui changer une pièce de cinq shillings (qu’il avait à cette heure même dans sa poche, affirmait-il) ; et cependant il ne cessait d’appuyer dans ma direction, tandis que je m’efforçais de l’éviter. Nous cheminions alors sur une sorte de piste à bestiaux herbeuse, qui franchissait les collines vers Torosay, et nous changions de côté sans arrêt, tels des danseurs dans un chassé-croisé. J’avais si clairement le dessus que je m’enhardis, et pris un réel plaisir à ce jeu de colin-maillard ; mais le catéchiste se mettait plus en colère à mesure, et finalement il lança des jurons en gaélique et s’efforça de m’envoyer son bâton dans les jambes.

Alors je lui annonçai qu’à vrai dire j’avais un pistolet tout comme lui, et que s’il n’obliquait pas vers le sud à travers la colline, je lui ferais sauter la cervelle.

Il devint aussitôt des plus polis ; et après avoir un moment tâché de m’amadouer, sans succès, il me maudit une fois de plus en gaélique, et s’éloigna. Je suivis du regard ses enjambées parmi les flaques et la bruyère, qu’il tapotait avec son bâton, jusqu’à ce qu’il eût tourné le bout d’une colline et disparu dans le prochain creux. Puis je me remis en route vers Torosay, trouvant bien plus agréable d’être seul que de voyager avec cet homme de savoir. J’avais joué de malheur, ce jour-là, car ces deux hommes dont je venais de me débarrasser, l’un après l’autre, étaient les pires que je rencontrai jamais dans les Highlands.

À Torosay, sur le Sound de Mull et orientée vers la terre ferme de Morven, il y avait une auberge dont le patron était un Maclean, et, paraît-il, de très grande famille ; car dans les Highlands plus que chez nous encore, on estime que tenir une auberge est un métier distingué, à cause peut-être qu’il participe de l’hospitalité, ou encore parce qu’on y est ivrogne et fainéant. Il parlait bien anglais, et découvrant que j’avais quelque instruction, m’essaya d’abord en français, où il me battit sans peine, puis en latin, où nous fûmes, je crois, égaux. Cet agréable tournoi nous mit dès l’abord sur un pied amical ; et je m’assis à boire du punch