Page:Tacite - Œuvres complètes, traduction Burnouf, 1863.djvu/260

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pouvoir, et elle gagnerait de la sécurité, s’ils prévenaient Claude, aussi prompt à s’irriter que facile à surprendre."Elle reçut froidement cette proposition, non par attachement à son mari, mais dans la crainte que Silius, parvenu au rang suprême, ne méprisât une femme adultère, et, après avoir approuvé le forfait au temps du danger, ne le payât bientôt du prix qu’il méritait. Toutefois le nom d’épouse irrita ses désirs, à cause de la grandeur du scandale, dernier plaisir pour ceux qui ont abusé de tous les autres. Elle n’attendit que le départ de Claude, qui allait à Ostie pour un sacrifice, et elle célébra son mariage avec toutes les solennités ordinaires.

Messaline se marie !

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Sans doute il paraîtra fabuleux que, dans une ville qui sait tout et ne tait rien, l’insouciance du péril ait pu aller à ce point chez aucun mortel, et, à plus forte raison, qu’un consul désigné ait contracté avec la femme du prince, à un jour marqué, devant des témoins appelés pour sceller un tel acte, l’union destinée à perpétuer les familles ; que cette femme ait entendu les paroles des auspices, reçu le voile nuptial, sacrifié aux dieux, pris place à une table entourée de convives ; qu’ensuite soient venus les baisers, les embrassements, la nuit, enfin, passée entre eux dans toutes les libertés de l’hymen. Cependant je ne donne rien à l’amour du merveilleux : les faits que je raconte, je les ai entendus de la bouche de nos vieillards ou lus dans les écrits du temps.

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A cette scène, la maison du prince avait frémi d’horreur. On entendait surtout ceux qui, possédant le pouvoir, avaient le plus à craindre d’une révolution, exhaler leur colère, non plus en murmures secrets, mais hautement et à découvert. "Au moins, disaient-ils, quand un histrion15 foulait insolemment la couche impériale, s’il outrageait le prince, il ne le détrônait pas. Mais un jeune patricien, distingué par la noblesse de ses traits, la force de son esprit, et qui bientôt sera consul, nourrit assurément de plus hautes espérances. Eh ! qui ne voit trop quel pas reste à faire après un tel mariage ? " Toutefois ils sentaient quelques alarmes en songeant à la stupidité de Claude, esclave de sa femme, et aux meurtres sans nombre commandés par Messaline. D’un autre côté, la faiblesse même du prince les rassurait : s’ils la subjuguaient une fois par le récit d’un crime si énorme, il était possible que Messaline fût condamnée et punie avant d’être jugée. Le point important était