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LA CONSTITUTION APPLIQUÉE


« aimé, ce qui est le bon et le certain. » — Pendant longtemps ils persistent dans cette illusion : ils restent optimistes. Ils ne comprennent pas qu’étant eux-mêmes bienveillants pour le peuple, le peuple puisse être malveillant pour eux ; ils s’obstinent à croire que les troubles sont passagers. Aussitôt que la Constitution est proclamée, d’Espagne, de Belgique, d’Allemagne, ils reviennent en foule ; pendant quelques jours la poste de Troyes ne peut fournir assez de chevaux aux émigrés qui rentrent[1]. Ainsi, ils acceptent non seulement l’abolition de la féodalité et l’égalité civile, mais encore l’égalité politique et la souveraineté du nombre. — Très probablement des égards, quelques respects extérieurs, des saluts les auraient ralliés de cœur à l’institution démocratique. Ils consentiraient même à être confondus dans la foule, à subir le niveau commun, à vivre en simples particuliers. S’ils étaient traités comme le bourgeois ou le paysan leurs voisins, si leurs propriétés et leurs personnes étaient respectées, ils supporteraient sans aigreur le nouveau régime. Que les grands seigneurs émigrés, que les gens de l’ancienne cour intriguent à Coblentz ou à Turin : cela est naturel, puisqu’ils ont tout perdu, autorité, places, pensions, sinécures, plaisirs et le reste. Mais, pour la petite et moyenne noblesse de province, chevaliers de Saint-Louis, officiers subalternes, propriétaires résidants, la perte est petite. La loi a supprimé la moitié de leurs

  1. Moniteur, X, 339 (Journal de Troyes et lettre de Perpignan, novembre 1791).