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LA RÉVOLUTION


des muets passifs, immobiles, qui se sentent « proscrits moralement et à demi déportés[1] », abandonnent la parole et le vote à ses stipendiés et à ses valets[2] ; en fait, les deux Conseils, comme autrefois la Convention, sont devenus des chambres « d’enregistrement », des mécaniques législatives auxquelles il donne à contre-signer ses ordres. — Sur les autorités subordonnées, son ascendant est encore plus absolu. Dans quarante-neuf départements énumérés nominativement par décret, tous les administrateurs du département, des cantons et des municipalités, tous les maires, tous les juges au civil et au criminel, tous les juges de paix, tous les élus du suffrage populaire sont destitués en masse[3], et, dans le reste de la France, le balayage est presque aussi ample. Jugez-en par un seul exemple : dans le Doubs, qui n’est pas inscrit parmi les départements à purger, cinq cent trente administrateurs ou magistrats municipaux sont chassés en 1797, et par surcroît, en 1798, quarante-neuf autres ; à leur place, le Directoire nomme ses créatures : subitement, l’orga-

  1. Thibaudeau, II, 309.
  2. Ib., II, 277 : « Dès que j’entrai dans la salle, plusieurs députés vinrent, les larmes aux yeux, me serrer dans leurs bras ; la physionomie de l’assemblée était lugubre, comme le théâtre mal éclairé où elle siégeait ; la terreur était peinte sur tous les visages ; quelques membres seuls parlaient et délibéraient. La majorité était impassible, ou semblait n’être là que pour assister à un spectacle funèbre, à ses propres funérailles. »
  3. Décret du 19 fructidor, articles 4 et 5, 28, 29 et 30, 16 et 17, 35, et décret du 22 fructidor. — Sauzay, IX, 103. Trois cents communes du Doubs sont ainsi purgées après Fructidor. — Ib., 537. — Même épuration des jurés.