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LA FIN DU GOUVERNEMENT RÉVOLUTIONNAIRE


nisation départementale, cantonale, municipale et judiciaire, qui était américaine, devient napoléonienne ; au lieu d’être les délégués du peuple, les agents locaux sont les délégués du gouvernement. — Notez surtout la plus menaçante des usurpations, la façon dont le gouvernement met la main sur la justice, le droit de vie et de mort qu’il se confère sur les particuliers : non seulement il casse et recompose à son gré les tribunaux criminels ordinaires ; non seulement il renouvelle et choisit parmi les plus purs Jacobins les juges du tribunal de cassation ; mais encore, dans chaque division militaire, il institue un tribunal d’exception, expéditif, sans appel, composé d’officiers, sous-officiers et soldats dociles, lequel est tenu de condamner et fusiller dans les vingt-quatre heures, sous prétexte d’émigration ou de prêtrise, tout homme qui déplaît à la faction régnante. — Pour les millions de sujets qu’elle vient d’acquérir, nul refuge : la plainte même leur est interdite. Quarante-deux journaux opposants ou suspects ont été prohibés à la fois, leur matériel pillé, et leurs presses brisées ; trois mois après, c’est le tour de seize autres, puis, l’an d’après, de onze autres ; les propriétaires, éditeurs, rédacteurs et collaborateurs, parmi eux Laharpe, Fontanes, Fiévée, Michaud, Lacretelle, nombre d’écrivains honorables ou distingués, les quatre ou cinq cents hommes[1] qui forment l’état-major de la presse, tous condamnés et sans procès à la déportation ou à la prison, sont empoignés, ou se sauvent,

  1. Lacretelle, Dix ans d’épreuves, 310.